CEDH 7 sept. 2021, n° 27516/14

Une femme de nationalité espagnole avait épousé un homme de nationalité portugaise. Avec leurs deux enfants, ils partageaient leur temps entre l’Espagne et le Portugal. La séparation du couple paraissant finalement inéluctable, l’épouse saisit un tribunal espagnol afin d’obtenir la résidence habituelle des enfants dans ce pays. En réponse, le mari saisit un tribunal portugais pour réclamer, dans un premier temps, la fixation provisoire de la résidence habituelle des enfants au Portugal, puis, dans un second temps, le divorce d’avec son épouse. Dans ce contexte, afin d’apporter la preuve de relations extra-conjugales de son épouse, il produisit des messages électroniques échangés entre cette dernière et d’autres hommes sur un site de rencontres occasionnelles. Le mari avait accédé à cette messagerie après avoir tenté plusieurs combinaisons possibles de mots de passe, avant que son épouse consente à lui donner un accès total à la messagerie afin de prouver qu’il ne s’agirait que d’une plaisanterie.

L’épouse saisit alors le procureur près les juridictions répressives de Lisbonne d’une plainte contre son mari pour violation du secret des correspondances, mais une ordonnance de non-lieu fut rendue. D’une part, les juridictions portugaises déduisirent du fait que les conjoints avaient, durant leur vie de couple, une certaine liberté d’accéder à la messagerie de l’autre, une autorisation tacite d’accéder au contenu des messages électroniques litigieux ; dès lors, les messages faisaient partie du patrimoine moral commun du couple, ce qui impliquait une autorisation tacite de les utiliser « dans le cadre de la relation conjugale et de ses dérivés », donc en particulier dans la procédure de divorce et de répartition de l’autorité parentale. D’autre part, selon les juges portugais, les messages relevaient de la vie privée du couple et non de la seule épouse, en raison de l’accès total à la messagerie accordé par celle-ci à son conjoint.

Cette solution ménageait-elle un juste équilibre entre le droit de l’épouse au respect de sa vie privée et le droit à la preuve du mari ?

Repoussant l’argumentaire de l’intéressée, la Cour européenne des droits de l’homme considère qu’il n’y a là aucune violation du droit au secret des correspondances. Si elle ne souscrit pas totalement à l’analyse des juridictions portugaises selon laquelle les messages feraient parties de la vie privée du couple, la Cour ne condamne pas pour autant le Portugal. Elle retient en effet que la production des messages litigieux était pertinente pour apprécier la situation personnelle des époux et de la famille, et que les messages n’avaient été divulgués que dans le cadre de procédures civiles à la publicité limitée.

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